Me voilà de retour d'une nuit d'observation qui restera gravée dans ma mémoire car j'ai eu la chance extraordinaire d'être invité à passer une nuit à piloter, observer et dessiner avec l'un des deux télescopes de 1,04 mètres de diamètre du réseau C2PU basé à l'observatoire de Calern sur le plateau de Caussols.
A mon arrivée sur le site je suis accueilli par David Vernet qui est membre de l'équipe C2PU de l'Observatoire de la Côte d'Azur (OCA) et que j'ai déjà eu le plaisir de côtoyer sur le prestigieux site d'observation du col de Restefond, car en parallèle de son travail de recherche il est également un astronome amateur réputé.
David me propose une visite du site de Calern en commençant par les coupoles des télescopes de C2PU (Centre Pédagogique Planètes et Univers) où nous passerons la nuit.
L'instrument qui va être utilisé pour les observations est le télescope Est de 1,04m de diamètre aussi appelé "Epsilon". Il est actuellement configuré en foyer Cassegrain à F/D12,5. Compte tenu de sa très grande focale (environ 13 mètres !) il offre de très forts grossissements même avec des oculaires dédiés au grand champ. Mais l'observation visuelle n'est pas du tout sa vocation, ce télescope servira dès le mois d'août à étudier les étoiles doubles particulièrement serrées grace à un tavelographe baptisé PISCO ! Un nom qui ne laissera pas insensibles les plus chiliens d'entre nous ...
Le télescope Epsilon de C2PU équipé d'un porte oculaire permettant exceptionnellement l'observation visuelle
En attendant l'installation et la mise en service de son instrumentation Epsilon est inactif, d'où l'idée de valoriser ce temps "perdu" en faisant connaître les projets de C2PU au travers d'observations partagées avec le public. Cette réflexion est à l'origine de ma collaboration avec David : En effet, quoi de mieux que des dessins pour montrer ce dont un télescope de 1m est capable d'apporter en terme de détails et de résolution !
David de son côté travaille avec le clone d'Epsilon, le télescope Ouest baptisé "Omicron". Les deux instruments sont parfaitement identiques car ils servaient auparavant à un projet d'interférométrie.
Omicron est équipée d'un polarimètre (CAPS) servant à déterminer l'albédo et le diamètre des astéroïdes.
Le polarimètre CAPS (Calern Asteroid Polarimetric Survey)
Comme il est encore tôt et qu'il fait grand jour dehors, David me propose de continuer la visite du site. L'observatoire de Calern abrite également la coupole du très célèbre laser-Lune. qui permet de déterminer très précisément la distance entre la Terre et notre satellite. Malheureusement la station de télémétrie lunaire n'est pas en fonction ce soir.
Par contre je vais avoir l'occasion d'admirer le plus gros télescope du site, il s'agit du Schmidt de 1,5m de diamètre.
Cet instrument n'est plus utilisé, il possède un miroir principal sphérique taillé par Jean Texereau dont les aberrations sont corrigées par à une lame correctrice de Schmidt. Le foyer du télescope accueillait des plaques photographiques de 30 cm x30 cm couvrant un champ de 5°.
En repartant vers C2PU nous passons devant l'étrange installation qui accompagne les originaux télescopes "boules" d'Antoine Labeyrie. Il s'agit du site interférométrique GI2T qui a permis de mettre au point la technique du couplage de deux instruments qui va ensuite servir sur des télescopes aussi célèbres que ceux du réseau VLT au Chili.
La nuit arrive, que les observations commencent !
Le ciel s'assombrit enfin, j'ai hâte de retrouver Epsilon ! Malheureusement la météo a décidé de freiner mon enthousiasme débordant et un affreux voile nuageux masquent les premières étoiles ... David me rassure en m'expliquant qu'en ce moment c'est souvent comme çà, le ciel est bouché le soir mais après minuit çà se dégage.
En attendant les étoiles je découvre le fonctionnement du centre de contrôle de C2PU et j'ai droit a une initiation au logiciel de pilotage ! Ce soir je serai parfaitement autonome avec les commandes du T1m, ce qui est une grande première pour moi. Je jubile !
Le pupitre de commandes d'Epsilon
Vers minuit comme prévu la couverture nuageuse se troue et quelques fenêtres étoilées font leur apparition. Je décide de commencer les observations avec un objet bien connu des astronomes amateurs : l'anneau de la Lyre, M57 (8,8m - 1,4'x1,0'). Ce célèbre Messier qui est déjà bien visible dans les plus petits instruments se trouve magnifié dans un télescope de ce calibre.
Avec le Nagler 22 mm j'atteins déjà le grossissement de 590x, l'anneau de M57 apparaît large et très lumineux. La forme de la nébuleuse est clairement ovalisée avec des bords SE et NO extrêmement brillants, quant à l'étoile centrale de 15m : sa vision directe n'est qu'une formalité ! Quelques renforcements sont perçus dans les bords contrastés malgré leur saturation lumineuse. Je note également que le bord de l'anneau comporte un faible halo irrégulier présentant de petits excroissances diffuses.
Mais la cerise sur le gâteau est la perception - certes subtile - de couleurs. Le bord externe de l'anneau exhibe une teinte chaude, je devine une vague nuance de orange ou de rouge alors que l'anneau lui est plutôt bleu-vert. A un moment de bonne transparence, certainement un trou dans les filaments de nuages qui défilent au dessus de la coupole, j'ai même deviné du jaune sur l'anneau.
M57- nébuleuse planétaire dans la Lyre
Télescope C2PU de 1000 mm à 590x (nagler 22 mm)
Observatoire de Calern (06)
Il me semble que je suis resté plus d'une heure à disséquer ce formidable objet qu'est M57. Ma seconde cible est aussi dans la constellation de la Lyre, mais il est bien plus discret et petit, il s'agit de la nébuleuse planétaire NGC 6765 (12,9m - 38"). le pointage go-to d'Epsilon m'épate par sa précision redoutable, à 590x les objets pointés sont à chaque fois dans le champ ! NGC 6765 se révèle à l'oculaire aussi bizarre et irrégulière que ce que j'escomptais. A 1000x avec l'Ethos 13 mm elle révèle deux condensations brillantes distinctes, celle située au nord est ovalisée et très contrastée, celle au sud est plus discrète et arquée. Je remarque également la présence de renforts latéraux visibles comme de petites nuées diffuses détachées du corps de la nébuleuse.
NGC 6765 - nébuleuse planétaire dans la Lyre
Télescope C2PU de 1000 mm à 1000x (Ethos 13 mm + UHC)
Observatoire de Calern (06)
Je vise ensuite un autre objet à l'aspect particulièrement curieux : PK80-6.1 (12,3m - 8") alias la nébuleuse de l'oeuf dans la constellation du Cygne. A 1000x la nébuleuse se présente sous la forme de deux petites condensations brillantes ovales séparées par un chenal. Celle située au NE est la plus contrastée des deux, elle est très brillante à proximité du chenal et perd en luminosité en s'étirant vers le NE. Notons qu'elle se termine par deux grands jets de matière bien distincts. En vision décalée je remarque également que cette condensation comporte un très discret filet sombre qui la scinde en deux parties.
PK 80-6.1 - nébuleuse planétaire dans le Cygne
Télescope C2PU de 1000 mm à 1000x (Ethos 13 mm)
Observatoire de Calern (06)
Les heures passent et je file maintenant vers une autre nébuleuse planétaire méconnue mais grande et structurée : NGC 7008 (10,7m - 98"x75") du Cygne. Au premier coup d'oeil à l'oculaire la vision m'arrache un "wow" ! A 590x avec le filtre UHC j'observe une grande bulle gazeuse ovalisée dans le sens N/S présentant une sorte de double enveloppe riche en condensations brillantes. Je remarque très facilement que la nébuleuse est beaucoup moins brillante sur son côté est, comme si ce bord était un peu effacé. Notons également que l'étoile centrale de 13,7m est parfaitement visible.
NGC 7008 - nébuleuse planétaire dans le Cygne
Télescope C2PU de 1000 mm à 590x (Nagler 22 mm + UHC)
Observatoire de Calern (06)
Les nuits en cette saison sont courtes et je continue ma course contre la montre. J'ai envie de changer un peu de type d'objets, comme la constellation de pégase a pris de la hauteur je vais pointer quelques galaxies. Je cherche une spirale pour commencer et jette mon dévolu sur NGC 7741 (11,2m - 4,4'x3,0'). Ce n'est pas une galaxie dont les bras sont bien dessinés, ils sont assez morcelés et peu contrastés. Malgré cela leur vision ne pose pas de problèmes dans le T1m, même si la partie galactique qui se remarque le plus c'est surtout la longue barre centrale qui, elle, est très lumineuse. Le bras nord s'étire vers une étoile brillante de 9,8m, le bras sud est quant à lui plus courbé, morcelé, il comporte une petite condensation un peu plus lumineuse que le reste. Au niveau de la barre centrale, soulignons aussi que le noyau reste très discret.
NGC 7741 - Galaxie dans Pégase
Télescope C2PU de 1000 mm à 317x (Panoptic 41 mm)
Observatoire de Calern (06)
Il ne me reste moins d'une heure de nuit noire avant que les premières lueurs de l'aube fassent leur apparition. Je me précipite sur le poste de commande pour lancer le pointage d'une cible qui me tient vraiment à coeur, une des beautés cachées de Pégase surnommé "la galaxie de l'arc électrique" : NGC 7814 (11,0m - 5,5'x2,3'). A 590x elle occupe une bonne place dans le champ de vision ! Son énorme région centrale toute ronde est entourée de deux extensions latérales plus faibles. L'ensemble est traversé par une fine bande sombre qui s'élargit au niveau du disque galactique. Je perçois également un filet brillant qui longe une partie de la bande sombre au niveau du noyau. Voilà une observation des plus intéressantes !
NGC 7814 - Galaxie dans Pégase
Télescope C2PU de 1000 mm à 590x (Nagler 22 mm)
Observatoire de Calern (06)
David m'appelle depuis le parvis de l'observatoire, il me signale que le ciel commence à s'éclaircir, la nuit noire est finie. Vers l'est notre regard est captivé par la présence d'un orage lointain localisé sous les constellations du Cocher et du Taureau, un énorme amoncellement de nuages est éclairé de toute part par des rafales d'éclairs. C'est magnifique.
Voilà une superbe nuit de rêve au commande d'un télescope de 1m qui s'achève. En guise de conclusion je voudrais remercier vivement David Vernet pour cette belle opportunité qui m'a été offerte de dessiner à ma guise avec un puissant télescope. L'observatoire C2PU dans lequel il s'est beaucoup investi est vraiment une grande réussite, nul doute qu'Epsilon et Omicron permettront de faire de belles découvertes dans leurs domaines respectifs à l'avenir.