Février 2025, nous quittons la France en direction du grand nord pour chasser les aurores boréales. Nous avons choisi pour destination Tromsø en Norvège, au delà du cercle polaire Arctique, à 69° de la latitude nord ! Partir dans un pays froid en hiver semble une idée saugrenue, mais c'est surtout la garantie d'avoir de très longues nuits pour espérer voir les fameuses lumières du nord. Par contre, il va falloir composer avec la météo difficile des régions polaires, un froid mordant et des voiles nuageux quasi omniprésents.
Dimanche
La plus grande partie du vol s’effectue de jour avec une arrivée à Tromsø en début de soirée.
Durant la fin du trajet, je surveille par le hublot le ciel qui s’assombrit, alors que nous survolons les paysages enneigés de Norvège. J’ai accès à l’horizon est, je commence à distinguer la planète Mars, puis les étoiles Procyon et Sirius. Nous sommes tellement haut en latitude, que cette dernière rase littéralement le manteau nuageux attaché aux montagnes et elle n’ira pas plus haut. Puis la nuit s’installe et subitement le ciel s’illumine, une longue draperie verte fait son apparition, voilà la première aurore !! Par manque de chance, l’intérieur de l’avion est éclairé et la photographier à travers le hublot est très compliqué à cause des reflets sur la vitre.
J’essaye d’en profiter à l'œil nu et ce que découvre par l’étroite lucarne est franchement formidable. J’ai beau avoir lu de nombreux témoignages concernant les lumières du nord, je suis agréablement surpris par la brillance de celle qui s’étire et ondule devant mes yeux. Sa couleur est bien verte mais surtout, qu’est-ce qu’elle bouge vite ! Le voyage commence bien !
A la sortie de l’aéroport la météo nous met tout de suite dans l’ambiance du grand nord, nous sommes accueillis par le blizzard et le sol est une véritable patinoire … Nous déambulons tant bien que mal jusqu’aux voitures de location et prenons la route en direction d’esfjordboten, sur la presqu'île de Kvaløya, où nous attend notre gîte. Grâce aux pneus cloutés, rouler sur les routes enneigées et verglacées n’est qu’une formalité, la stabilité du véhicule est vraiment étonnante !
La journée de transport nous a bien fatigué, mais j’essaie quand même de surveiller l’évolution de la couverture nuageuse au cas où une trouée nous permette de voir si les aurores perçues dans l'avion continuent. La température extérieure glaciale oblige à se couvrir et se découvrir à chaque fois qu’on met le nez dehors, mais cette gymnastique contraignante et loin de me décourager. D’ailleurs mes efforts commencent à porter leurs fruits, ne serait-ce pas une lueur verte que j’entrevois là bas ? Mais oui ! Auroooooore !!!
Rapidement la lueur verdâtre prend de l’ampleur. C'est le branle bas de combat dans la maison, la grosse panique, il faut s'équiper le plus rapidement possible car l'aurore évolue à une vitesse incroyable et elle peut disparaître à tout moment.
Par chance elle se développe pile dans une trouée. Son aspect change de seconde en seconde et elle commence à envahir une bonne partie du ciel.
La couleur verte des aurores apparaît lorsque le vent solaire entre en interaction avec les atomes d'oxygène situés à 100 à 250 km d'altitude dans l'atmosphère terrestre.
Les aurores sont virevoltantes, elles s'allument, s'éteignent, réapparaissent dans une autre zone du ciel et sous une forme différente. En voici une qui forme des vagues vertes.
Le Soleil présente actuellement un large trou coronal à sa surface, par chance celui-ci fait face à la Terre. Dans ce périmètre, le champ magnétique est ouvert et laisse passer librement le vent solaire. Cela explique certainement pourquoi nous avons droit à de belles aurores alors que notre étoiles se montre plutôt calme en ce moment.
Lundi
Après cette première nuit de chasse aux aurores réussie, nous nous levons le sourire aux lèvres.
Et le ravissement ne fait que commencer car nous découvrons pour la première fois la vue incroyable sur le fjord que nous offre la grande baie vitrée du salon.
Nous avons également la surprise d’observer de beaux oiseaux blancs qui passent de branche en branche. Il s’agit de lagopèdes "la perdrix des neiges". Cet oiseau présente la particularité d'être capable de changer de couleur en hiver, sa livrée devient blanche à la saison froide, ce qui lui assure un parfait camouflage.
Aujourd'hui nous partons visiter le village d'Ersfjordbotn le matin et la ville de Tromsø l'après-midi. C'est étonnant de trouver une grande ville à une latitude aussi haute, ici nous sommes à 69°N ! Il va être difficile d’aller plus haut.
Le village d'Ersfjordbotn est situé juste à côté de notre gîte, il est donc logique de commencer nos visites par cette petite localité du comté de Troms. Ici tout est très calme, les rues semblent désertes.
C'est dans ce village que se trouve l'un des rares cafés de la grande île de Kvaløya sur laquelle nous nous trouvons ! Installé au bord de l'eau, le café Bryggejentene nous permet de nous réchauffer dans l'ambiance chaleureuse d'un chalet tout en bois. Ils sont là les norvégiens !
L'après-midi nous prenons la direction du centre ville de Tromsø. Cette petite ville est très agréable malgré la neige qui recommence à tomber. je retrouve ici les belles rues bordées de maison colorées que j’avais tant aimé lors de mon séjour à Trondheim en 2017. On se croirait dans un village de Noël !
Le port offre une belle vue sur le pont de 1036 mètres de long qui enjambe le bras de mer du le détroit de Tromsøysundet. Inauguré en 1960, il permet de relier le continent à l'île de Tromsøya où se trouve le centre ville.
Sur l’autre rive nous pouvons admirer au loin la cathédrale arctique, reconnaissable à son architecture triangulaire. Il s'agit d'une église protestante moderne, construite en 1965. C'est le monument emblématique de Tromsø. On y propose des récitals et des concerts d'orgues en été, quand arrive la période du Soleil de minuit.
l'obscurité tombe vite, il est déjà temps de rentrer au gîte. Le soir venu, nous scrutons une nouvelle fois le ciel. Le voile nuageux omniprésent semble par moment se déchirer pour nous offrir de courtes fenêtres sur la voûte étoilée.
Nous décidons de faire une petite marche nocturne en direction d’un promontoire enneigé qui nous offre une vue imprenable sur le village Ersfjordbotn et l'Ersfjorden. Avec un tel avant plan, les aurores devraient s’en retrouver sublimées. Mais la petite randonnée est épique, la route est une véritable patinoire et le sentier est couvert d’un épais manteau blanc où nous nous enfonçons parfois jusqu'aux rotules. Arriver à bon port sans gadins et avec le matériel indemne n’a pas été une mince affaire.
Heureusement nos efforts ont été récompensés, face à nous les nuages se percent par-ci par-là et dans les petites lucarnes des lueurs vertes nous indiquent que l’activité aurorale est bien là.
Il faut être patient dans cette chasse, car il faut que les nuages s'écartent et que les aurores se déchaînent au même endroit et au même moment.
Ce soir le KP est de 3, à cette latitude ça suffit pour nous garantir un beau spectacle car nous sommes en permanence dans la halo auroral qui encercle le pôle de la planète. Pour photographier les aurores, j'utilise un Sony A7s équipé d'un objectif TT Artisan de 11 mm.
Nous envoyons du bon son jusqu'en Asgard avec l’enceinte portative et ça a visiblement plu à Odin, car voilà que les aurores s’embrasent sur un fond de Pink Floyd, l’instant est magique !
Par moment les volutes vertes sont tellement brillantes qu’elles s’allument littéralement comme de puissants phares à travers les nuages. Celle-ci pourrait passer pour la réincarnation du dragon mythologique Fafnir, lorgnant avidement sur la terre des hommes en quête des trésors de l'Ersfjord.
Les ondulations sont tellement rapides qu’on est obligés de réduire les temps de pose des photos, je tombe à 1,6 secondes à 2500 iso pour essayer de figer les plus fines structures dans les arabesques et éviter de me retrouver avec des aplats informes de couleur.
Quel spectacle ! Les aurores prennent par moment des formes surprenantes, voici un immense cœur céleste.
Malgré le froid mordant et quelques bourrasques neigeuses, rien ne peut nous faire bouger de là, nous savourons chaque minute du show créé par l’interaction du vent solaire avec la haute atmosphère terrestre.
Mais par Toutatis, le vent s’enhardit et il ne nous manque qu’un petit rhum pour nous donner du courage à affronter les éléments. Heureusement, Denis a pensé à caler un peu de potion magique dans sa besace. Nous mitraillons dans toutes les directions, c’est fou, les aurores nous assaillent de tous bords et elles s’en vont aussi vite qu’elles sont apparues.
Vers 1h du matin, l’activité semble de calmer et les nuages obscurs ont tiré le rideau sur la scène, la représentation semble terminée. Nous décidons de rentrer au gîte, mais en arrivant au pas de la porte, le ciel se dégage à nouveau et je ne peux pas me résoudre à aller dormir. Du coup je ressors le Sony A7s, mais cette fois-ci je l'équipe de l'objectif Fisheye Meike de 8 mm. Les aurores photographiée sont beaucoup moins intenses qu'en première partie de soirée, mais elles sont toujours là.
Mardi
Après la nuit que nous avons passé le réveil est tardif. Sans surprise le ciel est une nouvelle fois couvert, il tombe même de la neige. Ce matin, nous décidons de partir explorer l’île de Sommarøy, située à l'extrémité ouest de Kvaløya.
La route enneigée nous plonge dans un décor immaculé, autour de nous tout n’est que blancheur. Quels paysages ! Kvaløya, dont le nom signifie "l'île des baleines", est à elle seule un véritable condensé des paysages norvégiens, avec ses montagnes, ses fjords, ses caps, ses criques et ses villages aux maisons colorées. Elle doit ce nom aux baleines qui venaient nager en hiver le long de ses côtes, en particulier dans les eaux du Kaldfjord, au Nord de l’île. Malheureusement pour nous, à la mi-février les cétacés sont déjà repartis et nous n'aurons pas la chance d'en voir.
Nous faisons un arrêt sur les rives de ce qui ressemble à un lac gelé. En fait il s'agit de la pointe est du très long Nordfjorden.
Le décor glaciaire est très dépaysant pour un Marseillais qui ne voit que rarement la neige.
Les maisons norvégiennes très colorées contrastent avec la blancheur ambiante.
Ces maisons rouges aux liserés blancs sont des "rorbuer", des cabanes de pêche à la morue construite en bois et montées sur pilotis. Les couleurs orange et rouge étaient autrefois les moins difficiles et les moins chères à produire, les scandinaves les obtenaient en mélangeant de l'ocre et de l'huile de foie de morue !
La route longe des fjords nous fait découvrir des paysages sublimes.
On accède à l’île de Sommarøy par un grand pont dont la circulation est alternée. Le nom de Sommarøy signifie "l'île de l'été", cela fait peut-être référence au fait que le Soleil ne se couche pas pendant trois mois durant la saison estivale, à moins que cela soit en rapport au fait que l'île est baignée par le courant chaud du Gulf Stream qui assure à la côte norvégienne une température beaucoup moins froide que dans l'intérieur des terres.
Cette île est réputée pour ses rivages aux petits fonds turquoises. Le coin attire les photographes du monde entier et même sous un ciel largement gris les couleurs de la plage sont ici dignes d’un lagon tropical. Magnifique !
Mais nous sommes bien au dessus du cercle arctique et le froid piquant est là pour nous le rappeler !
Notre position élevée sur le globe a une autre incidence sur nos promenades, ici le soleil ne monte pas bien haut et se couche à 16h ! Nous ne pouvons malheureusement pas nous attarder dans ces magnifiques paysages.
Et encore que nous avons de la chance, car nous bénéficions de quelques heures de jour. Entre novembre et janvier Sommarøy est plongée dans l'obscurité de la nuit polaire.
Ce soir le temps est complètement couvert, il n'y aura pas d'observation d'aurore. Nous allons en profiter pour nous reposer et prendre un bon repas après la nuit d'anthologie que nous avons vécu la veille.
Mercredi
La météo s'est bien dégradée. Les chutes de neige ont été abondantes durant la nuit et aujourd'hui tout est blanc, du ciel au plancher des rennes.
Mais ce ne sont pas les flocons qui vont nous décourager. Nous partons en voiture visiter une autre presqu’île, en direction du village de pêcheurs de Tromvik.
La route de montagne a presque disparu sous le manteau neigeux. Heureusement des piquets rouges aident à la délimiter, ils nous évitent de finir dans les ornières.
Dans le col du lac gelé de Litlevatnet, la lumière est très particulière, nous avons l’impression d’évoluer dans un film en noir et blanc, cette vision binaire toute en contraste est vraiment spectaculaire !
A la sortie du col un belvédère d'altitude nous offre une vue dégagée sur la côte et l'anse de la plage de Grøtfjord.
Depuis ce point de vue le vent accentue la sensation de froid, pour le coup nous sommes mieux dans la voiture !
En descendant en direction du village, une éclaircie apparaît miraculeusement et la couleur revient dans le paysage. Et quelles couleurs !
La vue en direction des îles de Vengsøya et Gjøssøya est vraiment splendide. Les sommets enneigés du Vengsøytinden (764 mètres) sont nimbés de brumes aux teintes crépusculaires.
Le village de Tromvik est très mignon avec ses maisons colorées. Il est installé au pied des majestueuses montagnes de Melomtinden et Tromtindenn, hautes de 630 mètres.
Nous arrivons juste au moment où les pêcheurs reviennent du large.
Nous assistons au débarquement des cargaisons de morues de l'Atlantique (que les locaux appellent skrei), elles sont de belles tailles ! Les norvégiens les font sécher en plein air dans des hangars en bois pyramidaux qui dégagent une odeur très forte ...
La nuit est déjà tombée et en rentrant au gîte l'épaisse couche de neige qui est tombée sur le chemin durant la journée nous donne envie de faire un bonhomme de neige. Après une demi-heure de travail, je vous présente Olaf !
Après un bon repas la chasse aux aurores boréales reprend. Alors qu'il a fait très mauvais temps toute la journée, nous avons la surprise de voir apparaître de nombreuses trouées dans lesquelles quelques bandes vertes apparaissent. Les aurores peuvent parfois être discrètes, lorsqu’elle sont peu intenses elles ressemblent à des voiles intrinsèquement lumineux, plus denses et clairs que les nuages eux mêmes. Au début je sortais le Sony A7s et je lançais une pose pour vérifier leur présence, puis nous avons appris à les reconnaître et les distinguer visuellement des simples nébulosités.
En fait les aurores sont presque présentes en permanence, dommage que les nuages soient aussi systématiquement de la partie. Mais en guettant les trouées nous avons encore pu en photographier de très belles. En voici une qui ressemble à un puissant rayon laser arrivant tout droit de l'espace. A croire que l'étoile de la Mort nous a dans le collimateur !
D'un coup l'horizon ouest s'embrase, une puissante aurore a fait son apparition.
L'aurore est suffisamment brillante pour éclairer les nuages alentours d'une légère teinte verte.
Cette aurore prend la forme d'une couronne surmontée de rayons. Ceux-ci apparaissent sous la forme de filaments. Ils se forment lorsque de fins arcs s'enroulent sur eux-mêmes. Ils sont plus fréquents en période de forte activité solaire.
Alors que le ruban commence à s'étaler, une frange légèrement bleutée et violacée est perceptible sur l'une de ses bordures. Ces teintes apparaissent lorsque des électrons entrent en collision avec l'azote de l'atmosphère.
Alors que l'aurore de l'ouest s’éteint, une autre apparaît près du zénith sous la forme d'un grand filament ondulant, il faut décidément avoir l’œil partout !
Puis un autre ruban ondulant illumine l'horizon nord. Celui-ci est beaucoup plus large et contrasté !
Quand l’activité aurorales se calme, j’en profite pour admirer les pans de ciel étoilé. Ici l’étoile polaire est très très haute, Orion semble marcher sur l’horizon et la lune, bien qu’en phase gibbeuse, ne se lève même pas ! Elle n’est présente dans le ciel qu’au moment où elle se trouve dans les parties de l’écliptique situées au dessus de l’équateur céleste, et il se trouve que durant tout notre séjour elle est restée en dessous. Une aubaine !