Voilà un nouveau week-end de nouvelle Lune qui se profile et la météo annoncée semble clémente. Bien décidés à en profiter notre petit groupe d'astronomes des RAGBR se donne rendez-vous au gîte du Poil, notre repère isolé dans la Provence profonde, loin de la pollution lumineuse. Je quitte Marseille vendredi soir et prend la route du Verdon, j'ai hâte de retrouver la nature et d'oublier un peu les turpitudes de la vie citadine mais Marseille a décidé de me retenir au maximum, à cause d'une grève des transports en commun le réseau routier est saturé ... Après avoir mis près d'une heure rien que pour sortir de la citée phocéenne je parviens au gîte vers 22h, bien après mes camarades, alors que la nuit a déjà commencé depuis longtemps. Mais la récompense est là, au bout de près de 3 heures de route, je lève les yeux vers le ciel et découvre avec enchantement la belle Voie Lactée qui se dresse au dessus du gîte.

Je réunis le peu de force qui me reste en cette fin de semaine pour sortir et monter le Canopus de 381 mm. Les copains sont déjà en train d'observer du coup je me dépêche de les rejoindre. J'avale vite mon repas, j'enchaîne avec un bon petit rhum de Guadeloupe pour me rebooster et c'est parti !

Les constellations d'hiver sont déjà levées, Orion, le Taureau et les Gémeaux dominent la moitié est du ciel. Je commence mes explorations célestes par un challenge, la grande et discrète nébuleuse planétaire PK215-30.1 alias Abell 7 (13,2m - 14,5'x11,2') de la constellation du Lièvre. Cet objet très étendu est extrêmement peu contrasté, d'où la difficulté de la distinguer. Je l'ai déjà tenté plusieurs fois sans succès, mais ce soir le ciel me semble particulièrement transparent et sombre dans son secteur. Avec l'oculaire TS XWA de 20 mm et un grossissement de 85x, je ne distingue pas grand chose à son emplacement. Je fixe le filtre UHC à l'arrière de l'oculaire et en vision décalée je devine maintenant une faible nébulosité. Je discerne surtout deux anses diffuses et très pâles qui semblent correspondre à deux bords renforcées d'une grande bulle dont la structure serait annulaire. Je perçois ces détails à plusieurs reprises en passant en vision périphérique, ils sont peu évidents mais ils m'apparaissent avec récurrence. Challenge relevé !

PK215-30.1 (Abell 7) -  Nébuleuse planétaire dans le Lièvre
Télescope Sumerian Optics de 381 mm à 62x (TS XWA 20 mm + UHC)
Le Poil (04)

Je poursuis mes observations en allant rendre visite à une petite galaxie toute proche d'Abell 7, il s'agit de NGC 1832 (11,3m - 2,6'x1,7'). Par rapport à la nébuleuse planétaire cette galaxie spirale est très facile à distinguer. A 286x elle me montre même des détails structurels, un noyau compact et lumineux, mais aussi des bribes de bras spiraux. C'est un bel objet qui mérite d'être visité.

NGC 1832 -  Galaxie dans le Lièvre
Télescope Sumerian Optics de 381 mm à 286x (Ethos 6 mm)
Le Poil (04)

L'heure avance et la constellation du Lion commence à se lever à l'est. Cette nuit nous sommes au maximum de l'essaim des léonides ce qui explique qu'en levant les yeux vers le ciel nous observons pas mal d'étoiles filantes. Nous avons même droit à un superbe bolide très lumineux qui va laisser une trainée de fumée persistante après son passage. J'ai même le temps d'orienter mon nouvel appareil photo Sony A7s vers le rémanent avant qu'il disparaisse. Alors que j'enregistre sur l'image la trainée diffuse du bolide, une autre étoile filante vient marquer le cliché presque au même endroit !

Sur des images prises un peu plus tard je découvre que la trainée de fumée est toujours là alors qu'à l’œil nu nous ne la percevons plus. Je remarque qu'elle s'étale progressivement au fil du temps et elle finira par se diluer totalement.

 

La constellation du Lion est maintenant visible dans son intégralité. C'est le moment de partir à la recherche de la discrète comète 62P/Tsuchinshan 1. Ce matin elle transite à proximité de la galaxie NGC 3547. Dans le télescope de 381 mm à 85x je la distingue sans trop de difficulté même si sa coma reste diffuse et pâle. Je note également qu'elle présente une condensation centrale très discrète mais néanmoins visible. La magnitude la comète doit être autour de 11m.

62P/Tsuchinshan 1 -  Comète dans le Lion
Télescope Sumerian Optics de 381 mm à 171x (Ethos 10 mm)
Le Poil (04)

Le fond du ciel nous semble devenir clair dans le secteur du Lion alors que la nuit n'est pas encore tout à fait terminée. Sur une image prise avec l'A7s je devine une légère lumière zodiacale dans ce secteur qui peut expliquer cette sensation de clarté. Cette lueur est visible comme un cône lumineux qui s'étire du Lion au Cancer, c'est à dire le long de l'écliptique. La lumière zodiacale est produite par la réflexion de la lumière du Soleil par les particules de poussière du milieu interplanétaire présentes dans le système solaire. 

Il est trois heure du matin et je mets fin à la soirée d'observation, je suis complètement lessivé et j'ai hâte de rejoindre les bras de Morphée.

 

Le lendemain ...

Samedi matin le lever est tardif. Nous ne sommes pas en très grande forme après avoir passé une nuit quasiment blanche, donc la journée va passer tranquillement au rythme des apéros et des repas.

Notre petit apéro au grand air attise la curiosité de quelques rapaces qui tournent au dessus de nous pendant un moment.

Comme le ciel est parfaitement dégagé on prend quand même le temps de quitter la tablée pour jeter un coup d’œil au Soleil qui comporte une petite tache solaire à sa surface.

Dehors il fait encore très beau, les astronomes sont ravis de pouvoir profiter de cette profusion de temps clair pour observer mais la nature - elle - semble en souffrance ... Le manque de pluies de ces derniers mois se fait cruellement sentir et la végétation apparaît par endroits comme brûlée, on sent bien que la teinte marron des feuillages n'est pas exclusivement due aux belles couleurs de l'automne. Il faut dire que même la nuit l'air reste très sec, pas de buées sur les miroirs, pas d'humidité ou de givre sur les atlas. On se croirait presque dans le désert au Chili !

En cette saison la nuit arrive vite, nous profitons des derniers rayons de Soleil pour débâcher les instruments et ainsi accélérer leur mise en température.

L'heure du repas du soir est avancée afin d'être rapidement prêts à observer. Nous dégustons notre soupe maison, nous enchainons avec de délicieuses bananes flambées et c'est le ventre plein que nous finissons par enfiler les couches de protection contre le froid.

 

Bien emmitouflés dans nos combinaisons de ski et nos gros anoraks, les bibendums astronomes sont prêts pour une nouvelle nuit étoilée.

Une fois au grand air le ciel nous semble un peu plus blanc qu'hier ... Pourtant dans les télescopes les images sont encore très belles, à commencer par la somptueuse galaxie du Sculpteur NGC 253 (7,3m - 29'x6,8'). Malgré sa faible hauteur sur l'horizon sud, cette spirale vue de trois quart dévoile dans le Dobson de 381 mm une foule de détails. Son disque galactique impressionne par sa taille et sa région centrale plus lumineuse apparaît couverte de nodosités sombres et brillantes. C'est réellement un objet magnifique à observer lorsque les conditions de transparence sont bonnes.

NGC 253 -  Galaxie dans le Sculpteur
Télescope Sumerian Optics de 381 mm à 171x (Ethos 10 mm)
Le Poil (04)

Quelques voiles font leur apparition sur l'horizon, du coup je décide de reprendre de la hauteur et j'oriente le télescope vers la constellation du Bélier. A 1,2°SE de Gamma Arietis se trouve une jolie galaxie nommée NGC 772 (10,3m - 7,2'x4,3'). Au premier abord à 171x je la découvre comme un disque diffus ovalisé possédant une condensation centrale bien marquée. Une vision qui apparaît finalement assez classique. En passant du temps sur cette cible l'observation devient progressivement plus intéressante. En effet, en vision décalée je devine que le contour de la galaxie est irrégulier. Une forme spiralée semble se dessiner de manière fugace mais répétée, ces visions récurrentes un peu à la limite de la perception sont appelées "glimpses" par les spécialistes de l’observation visuelle du ciel profond. A seulement ' je découvre aussi une petite galaxie voisine très compacte, il s'agit de NGC 770 (13,0m - 1,1'x0,8').

NGC 772 et NGC 770 -  Galaxies dans le Bélier
Télescope Sumerian Optics de 381 mm à 171x (Ethos 10 mm)
Le Poil (04)

Ce soir l'observation est un peu plus compliquée que la veille ... Des voiles nuageux zèbrent la voûte céleste et un petit vent glacé descend des montagnes. Il vient nous geler les mains, nous faire pleurer les yeux, tourner les pages des atlas ou pire encore, il fait vibrer les télescopes ... bref on est bien enquiquinés !

Dans ces conditions je sais que je ne vais pas être très prolifique en dessins. Mais bon, je ne lâche pas l'affaire et je profite d'une trouée dans le secteur de la tête de la Baleine pour passer à mes cibles suivantes : Le trio de galaxies formé par NGC 1087 (10,8m - 3,9'x2,3'), NGC 1090 (11,8m - 3,9'x1,8') et NGC 1094 (12,7m - 1,3'x1,0'). Le champs de vision offert par cet ensemble est assez sympa, les trois objets sont observables simultanément à 85x et même à 171x. NGC 1087 est la plus intéressante, elle est un peu plus large que ses voisines, elle comporte un tout petit noyau très compact. En vision décalée à 171x je devine des irrégularités de contour qui semblent trahir un début de résolution de sa structure spirale. Je perçois également une minuscule condensation brillante située à l'ouest du noyau, il s'agit vraisemblablement d'une région HII ou d'une association OB. NGC 1090 présente quant à elle un disque galactique ovalisé et une discrète condensation centrale. La plus faible des trois est NGC 1094, elle aussi apparaît étirée dans le sens E/O, son noyau est bien visible.

NGC 1087 - NGC 1090 - NGC 1094 -  Galaxies dans la Baleine
Télescope Sumerian Optics de 381 mm à 171x (Ethos 10 mm)
Le Poil (04)

En décalant le champ de vision vers l'est je découvre une quatrième galaxie à proximité de notre trio, il s'agit de NGC 1104 (13,6m - 1,2'x1,0'). Cette petite galaxie spirale n'est pas très brillante mais elle demeure bien visible à 171x. Je remarque son étirement dans le sens SE/NO et je parviens également à distinguer son noyau.

NGC 1104 -  Galaxie dans la Baleine
Télescope Sumerian Optics de 381 mm à 171x (Ethos 10 mm)
Le Poil (04)

Le plus étonnant c'est que le ciel nous semble moins bon qu'hier alors que les observations sont elles tout à fait satisfaisantes. Après avoir détaillé une galaxie de 13,6m en visuel, c'est en photo que je découvre une nouvelle surprise : Le pont zodiacal apparaît comme un long ruban diffus qui barre l'image en diagonale. A l'instar de la lumière zodiacale observée la veille juste avant l'aube, il s'agit de poussières du Système Solaire réunies dans le plan de l'écliptique et qui reflètent la lumière de notre étoile. Remarquez également comme la lueur zodiacale s'étoffe au niveau du Taureau, juste sous l'amas des Pléiades, il s'agit du gegenschein. Dans cette zone les poussières sont situées dans la région de l'écliptique directement opposée à la direction du Soleil, elles sont donc éclairées de face et apparaissent plus lumineuses.

 

Il est déjà deux heures du matin et la longue nuit précédente à laisser des traces, je commence à être vraiment fatigué. La lutte permanente contre l'inconfort provoqué par le petit vent froid n'a rien arrangé, du coup je décide d'arrêté là les observations.

Je rejoins le gîte pour prendre un peu de repos des étoiles plein la tête. Quel beau week-end d'observation ! Heureusement qu'il existe encore des coins isolés éloignés de la pollution lumineuse, des coins où l'on peut encore apprécier le spectacle naturel d'une belle nuit étoilée, où l'on peut encore se perdre dans les méandres brillants et sombres de la Voie Lactée, où l'on peut guettez le passage des étoiles filantes ou l'on parvient saisir la faible lueur zodiacale. Il y a tant de choses à découvrir là haut lorsque la nuit est profondément sombre.